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| 18. Une singulière expérience
Les cinq minutes s’écoulèrent et la montre commença de sonner les sept coups de l’heure. Sonnait-elle la mort de Rouletabille ?… Peut-être point !… car, au premier déclenchement du tintinnabulement argentin, on vit Rouletabille tressaillir, lever une tête, un front inspiré, aux yeux pleins de rayons… on le vit se dresser… étendre les bras et s’écrier : – J’ai trouvé !… Une telle joie rayonnait de son visage en extase qu’il en était comme auréolé et nul ne douta plus, de ceux qui étaient là, qu’il n’eût trouvé la solution de l’impossible problème. – J’ai trouvé ! j’ai trouvé… Ils se pressaient tous autour de lui. Il les écarta d’un geste d’halluciné… – Faites-moi place… j’ai trouvé, si mon expérience réussit… Un, deux, trois, quatre… Que faisait-il ? Il comptait ses pas, maintenant, de larges pas, comme dans les affaires de duel. Et les autres, tous les autres, le suivaient en silence, stupéfaits, mais sans protestation, comme s’ils étaient entraînés dans la même bizarre hallucination. Toujours comptant ses pas, il traversa ainsi la cour, toute la cour, qui était vaste… – Quarante… quarante et un… quarante-deux !… s’écria-t-il avec force !… Voilà qui est bien étrange ! Et de bon augure !… Les autres, qui ne comprenaient pas, ne le questionnaient pas, car ils voyaient qu’il n’y avait qu’à le laisser faire sans l’interrompre, de même qu’il faut se garder de réveiller trop brusquement un somnambule. Ils n’avaient aucune méfiance, car l’idée ne pouvait leur venir que Rouletabille fût assez niais pour espérer se sauver d’eux, par quelque subterfuge imbécile… Non ! non ! Ils se laissaient conduire par ce front inspiré… et plusieurs d’entre eux étaient tellement frappés qu’ils répétaient ses gestes, inconsciemment… Rouletabille était ainsi arrivé au seuil de la bâtisse où avait eu lieu le jugement. Là, il fallait monter une espèce de perron en bois vermoulu dont il compta les marches… il pénétra dans le corridor ; mais, laissant de côté la porte qui ouvrait sur le prétoire, il se dirigea vers un escalier qui montait au premier étage, et dont il compta encore les marches, en le gravissant. Les uns le suivaient, d’autres, marchant à reculons, le précédaient. Mais ni les uns ni les autres ne semblaient exister pour lui qui ne vivait que « dans sa pensée ». Ainsi fut atteint le palier sur lequel il s’engagea. Là, il poussa une porte, se trouva dans une chambre garnie d’une table, de deux chaises, d’une paillasse, et d’une énorme armoire. Il alla à l’armoire, en tourna la clef, l’ouvrit. L’armoire était vide. Il referma la porte de cette armoire et mit la clef dans sa poche. Et il revint sur le palier. Là, il demanda la clef de la porte de la chambre d’où il sortait. On la lui donna et il ferma encore cette porte à clef et mit aussi cette clef dans sa poche. Puis il redescendit dans la cour. Il demanda une chaise. On la lui apporta. Aussitôt, il se mit le front dans la main, réfléchit profondément, prit la chaise et alla la porter un peu en retrait du hangar. Les autres le regardaient toujours faire et ils ne souriaient pas, car on ne sourit pas des choses quand il y a la mort au bout. Enfin Rouletabille parla : – Messieurs, fit-il, d’une voix profondément émue, car il sentait bien qu’il touchait à la minute décisive après quoi il ne pouvait plus y avoir que de l’irrévocable… Messieurs, pour continuer mon expérience, je vais être obligé de me livrer à des exercices qui pourraient évoquer chez vous l’idée d’une tentative de fuite, d’évasion. J’espère que vous ne me croyez pas assez sot pour avoir eu cette pensée grossière… – Oh ! Monsieur, dit le chef, vous pouvez vous livrer à tous les exercices que vous voudrez. On ne se sauve pas de nous !… Dehors nous vous tiendrons au bout de notre bras aussi bien qu’ici !… Et, du reste, il est impossible de s’échapper d’ici… – Parfait ! C’est entendu !… Dans ces conditions, je vous demande de rester aux places que vous occupez en ce moment et de n’en point bouger, quoi que je fasse, si vous ne voulez pas me gêner. Envoyez dès maintenant quelques-uns des vôtres au premier où je vais remonter, et qu’ils regardent ce qui va se passer sans intervenir, du fond du palier. Enfin, pendant l’expérience, ne m’adressez pas la parole. Deux des révolutionnaires montèrent au premier, dont ils ouvrirent une fenêtre pour regarder ce qui se passait dans la cour. Tous, maintenant, se montraient intrigués au plus haut point des faits et gestes de Rouletabille. Le reporter était retourné sous le hangar, entre son escabeau et sa corde. – Attention ! fit-il, je vais commencer ! Et, tout à coup, il partit comme un fou, traversa en droite ligne, et telle une flèche, toute la cour, s’engouffra dans la touba, bondit dans l’escalier, fouilla dans sa poche pour en tirer les clefs, ouvrit la porte de la chambre dont il avait également fermé la porte à clef, fit volte-face, redescendit avec la même vivacité, se retrouva dans la cour, et, cette fois, obliqua droit sur la chaise, la contourna toujours en courant, et revint à la même allure au hangar. Il ne fut pas plutôt arrivé là qu’il jeta un cri de triomphe en regardant la montre suspendue au poteau. « J’ai gagné ! » fit-il, et il se laissa tomber avec une émouvante allégresse sur le fatal escabeau. Tous l’entouraient et sur tous les visages Rouletabille pouvait lire la plus ardente curiosité. Soufflant encore de sa course désordonnée, il demanda à dire deux mots en particulier au chef du comité secret. Alors, celui qui avait prononcé le jugement et qui avait la douce figure de Jésus s’avança, et il y eut un bref échange de paroles entre les deux jeunes gens. Les autres s’étaient écartés et assistaient de loin, toujours dans le plus impressionnant silence, à ce colloque mystérieux qui, certainement, décidait du sort de Rouletabille. – Messieurs, dit le chef, le jeune Français va être rendu à la liberté. Nous lui accordons vingt-quatre heures pour qu’il délivre Natacha Féodorovna. Dans vingt-quatre heures, s’il n’a pas réussi, il redeviendra notre prisonnier, où qu’il se trouve ! Un heureux murmure accueillit ces paroles. Du moment que leur chef parlait ainsi, c’est que le salut de Natacha ne pouvait faire de doute. Et le chef ajouta : – Comme la libération de Natacha Féodorovna devra être suivie, me dit le jeune Français, de celle de notre compagnon Mataiew, nous décidons que, si ces deux conditions se réalisent, M. Joseph Rouletabille pourra, en toute sécurité, retourner en France, qu’il n’aurait jamais dû quitter. Deux ou trois seulement dirent : « Cet enfant se joue de nous, ça n’est pas possible ! » mais le chef déclara : – Laissez faire cet enfant ! Il accomplira des miracles !
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